Acacia 22 ou l’intemporelle quête de liberté de la jeunesse


LA CASE BD – À 50 ans d’intervalle, deux femmes s’installent à Mexico pour tenter de vivre de leur art. Pour sa première bande dessinée publiée en France, Edgar Camacho jongle entre les époques et déploie de belles trouvailles visuelles pour illustrer le temps qui passe.

Susana et son imposante valise viennent d’arriver à Mexico. Elle doit maintenant se rendre à son nouvel appartement au 22, avenue Acacia. Cinquante ans plus tard, une autre Susana entreprend exactement le même voyage, s’installe exactement au même endroit (son GPS lui facilite cependant la tâche). L’une est dactylo mais aspire à devenir écrivain, l’autre est graphiste et souhaiterait faire de l’illustration. Parviendront-elles à accomplir leurs rêves ?

Les premières pages d’Acacia 22 alternent deux époques, les années 1970 et les années 2020, avec des plans similaires et des jeux de symétrie invitant à la comparaison. Ainsi, un magasin criard a remplacé le cinéma de quartier, le pick-up flambant neuf s’est changé en benne à détritus, la pharmacie est à vendre… Ces effluves de «c’était mieux avant» seront bien vite nuancées. Et s’il s’agissait d’une transition vers un monde meilleur ? «Je crois que tout changement est bon… bien qu’au début on s’en méfie», écrira même la Susana du passé. Malgré leur demi-siècle d’écart, les deux femmes partagent finalement beaucoup de choses…

Deux Susana, deux époques. Bien pratique le GPS… mais quid du contact humain ? Edgar Camacho / éditions Ça et Là

Publiée ce vendredi aux éditions Çà et Là, Acacia 22 s’inspire du quotidien de son auteur, Edgar Camacho. En 2017, alors qu’il vient de quitter le nid familial pour emménager dans un appartement, il peine à faire fonctionner sa chaudière… Ce sera le point de départ de son album, qui met d’ailleurs en scène le capricieux engin ! Mais pourquoi avoir choisi une (double) héroïne ? «À cause des histoires que ma mère m’a racontées, sur sa jeunesse, répond au Figaro le dessinateur mexicain. Comment elle est allée vivre dans la grande ville sans un sou et a réussi à avance. Comment à l’âge de 23 ou 24 ans, sa famille lui mettait la pression pour qu’elle se marie et ne reste pas célibataire». Aujourd’hui âgé de 31 ans, Edgar Camacho commence tout juste à gagner sa vie avec la bande dessinée, tout en conservant son poste de graphiste.

Pour l’anecdote, le titre de l’album est une référence à 22 Acacia Avenue du légendaire groupe britannique Iron Maiden. «La BD n’a rien à voir avec la chanson, j’ai juste vraiment aimé le nom, reconnaît l’artiste fan de metal. Puis un ami m’a expliqué l’une des nombreuses significations de la fleur d’acacia: un cadeau spécial pour les personnes qui ont vécu un accident ou une maladie presque mortelle et qui en ont réchappé. Je pense que cela correspond assez bien au thème du livre.»

La scène de l’apéro à distance, chacun derrière son ordinateur, a été imaginée avant l’épidémie de Covid-19… Edgar Camacho / éditions Ça et Là

Friand de perspectives distordues type «fisheye», qui donnent un certain dynamisme à la page, Edgar Camacho se livre aussi à de belles expérimentations en termes de composition et de narration. «Je pense que je m’exprime mieux en dessinant qu’en écrivant, confie humblement l’artiste. Pour cette raison, beaucoup de mes pages n’ont pas de dialogues et je pense que ce sont mes meilleures pages.»

Le dessinateur est particulièrement doué pour jouer avec la temporalité au sein d’une même planche, usant de techniques astucieuses qui glissent parfois sur un terrain poétique.

La case BD

Acacia 22 a été réalisé au crayon et colorisé par ordinateur. Edgar Camacho / éditions Ça et Là

Cette planche met en scène le premier baiser de Susana, celle des années 70, avec Berto. On s’attend à découvrir ce moment iconique en pleine page, d’autant plus que la scène suit une succession de petites vignettes racontant en accéléré les premiers rendez-vous du couple, mais l’auteur en a décidé autrement : «Dans la première case, nous voyons un baiser, et dans la seconde, nous voyons le résultat de ce baiser, explique simplement Edgar Camacho. Les personnages sont dans la même pose, mais l’environnement change, comme une transition.» La fusion de ces deux moments forts fonctionne particulièrement bien, le petit effet de surprise en prime.

«Dans les cases suivantes, la magie du moment s’évapore avec la réplique de Berto, qui évoque la question du mariage, un sujet qui hérisse Susana», explique l’auteur. Pour elle, l’écriture est prioritaire ! «À l’époque de ma mère, le mariage était presque obligatoire, et avoir des enfants était l’accomplissement auquel beaucoup de gens aspiraient. Il était même courant que la femme, lorsqu’elle avait des enfants, doive tout mettre de côté pour s’occuper d’eux. Et si elle travaillait, elle devait quitter son emploi pour se consacrer entièrement à sa famille. Elle en assumait seule la responsabilité. Aujourd’hui, Dieu merci, cette perception a changé». Le dessinateur trentenaire se réjouit de voir que ses amis devenus parents «n’ont pas abandonné leurs rêves et forment une super équipe avec leur conjoint.»

« Je voulais une palette qui ressemble à du Technicolor, qui ait l’air vieillie par le temps, comme le jaunissement du papier »

Edgar Camacho

La séquence se déroule pendant les seventies, une décennie qu’il a fallu reconstituer jusqu’aux codes vestimentaires. «L’inspiration pour ces personnages est venue des photographies que ma mère avait quand elle était jeune, de sa famille et de ses amis de cette époque», souligne Edgar Camacho. Et pour bien distinguer les années 1970 des années 2020, il fallait une patte visuelle avec des couleurs bien spécifiques. «Je voulais une palette qui ressemble à du Technicolor, qui ait l’air vieillie par le temps, comme le jaunissement du papier. Comme si la Susana du présent avait trouvé ces pages et les regardait. J’ai donc commencé à étudier le fonctionnement du Technicolor et à reproduire cette technique à l’aide de calques et de filtres de réglage». Après une série de tests, le résultat est concluant !

Un croquis préliminaire de la scène du baiser entre Susana et Berto. Edgar Camacho

Acacia 22, d’Edgar Camacho, éditions Çà et Là, 96 pages, 16 euros.

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